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Sans-abri et mal logés en Allemagne : l’exemple de Cologne et de Bielefeld

ANIL, Habitat Actualité, avril 2008
(Avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat)


La plupart des pays européens sont confrontés, particulièrement dans les grandes villes, aux difficultés des personnes sans-abri ou mal logées, et tous ont à faire face à la menace de voir leur nombre s’accroître de ceux qui risquent d’être expulsés de leur logement. Mais ce problème se pose avec plus ou moins d’acuité et ceci tient, pour partie, aux politiques mises en oeuvre pour faire face à ce phénomène.
Comme elle l’a fait pour le Royaume-Uni, l’ANIL s’est penchée sur la façon dont ces situations sont traitées en Allemagne, en s’appuyant sur l’exemple de Cologne et de Bielefeld, villes qui comptent respectivement un million et 325 000 habitants, dont l’action est jugée exemplaire en la matière. Le voyageur est en effet frappé de l’absence, ou pour être exact du très petit nombre de personnes à la rue (à Cologne selon une estimation des services sociaux sur 1 million d’habitants, 150 à 200 personnes passent la nuit dehors)(1). On sait que le marché du logement est globalement détendu en Allemagne, que les logements y sont en nombre suffisant, que c’est même l’un des seuls pays européens qui a vu le prix des logements baisser au cours de la dernière décennie. Nous renvoyons sur ce sujet à l’étude consacrée au « logement locatif en Allemagne ». Il n’en reste pas moins qu’il est intéressant de voir comment est traité le problème des sans-abri, tant il est vrai qu’il ne s’agit pas que d’un problème d’argent.

Un lien fort avec l’ordre public

Comme en Grande-Bretagne un lien très fort relie la question des sans-abri à la notion d’ordre public. Cette notion recouvre deux aspects distincts : le trouble aux autres (gêne occasionnée par les sans-abri dans l’espace public ou privé) mais aussi la mise en danger de soi-même. Sans définition précise au niveau de l’Etat fédéral, l’ordre public s’apprécie localement, la prévention des troubles étant sous la responsabilité de la police et de la commune. L’étendue exacte de ce trouble à l’ordre public s’apprécie en fonction de la gêne que la personne qui erre, dort dehors, mendie etc., est censée provoquer pour les autres, mais également en fonction des risques qu’elle encourt elle-même. Ici, le seul fait de dormir dans la rue constituera un trouble, là ce sera une mendicité agressive. Le degré de tolérance peut donc varier d’une ville à l’autre, voire d’un quartier à l’autre dans certaines villes touristiques par exemple.

Alors même que la France a supprimé le délit de vagabondage et de mendicité depuis l’instauration du nouveau code pénal en 1994 et rejette le principe des arrêtés anti-mendicité, la responsabilité du maintien de l’ordre public en Allemagne fait obligation aux pouvoirs publics et donc à la police d’offrir un hébergement à ceux que l’on empêche d’occuper la rue. Ainsi, à Cologne, lorsque la police enjoint à une personne sans-abri de ne pas stationner dans un endroit, elle doit lui faire une proposition d’hébergement. Dans les locaux privés comme les gares, les responsables peuvent faire appel à la police pour empêcher les sans-abri de s’installer si leurs propres agents ne peuvent s’en charger. Tout ceci est complété par un travail d’accompagnement social et médical.

Des formules d’hébergement adaptées

Il ne faudrait pas déduire de ce qui est écrit plus haut que la quasi-absence de personnes à la rue en Allemagne s’expliquerait par une chasse « policière » aux sans-abri.

Les communes, à tout le moins celles visitées pour cette étude, se sont données les moyens de proposer un hébergement aux personnes sans-abri. Cologne et Bielefeld l’ont fait en se dotant d’outils dédiés. La ville de Cologne est restée actionnaire majoritaire de la société propriétaire du parc de logements anciennement municipal (2). Ce parc regroupe 65 000 logements. La ville a choisi de garder le contrôle de cet organisme principalement pour disposer d’un outil d’aménagement et de construction et non pour disposer d’un parc de logements au statut plus protecteur ou moins onéreux pour les locataires. Rappelons, en effet, que les rapports locatifs noués entre le locataire et le bailleur sont rigoureusement identiques quel que soit le statut du bailleur, privé ou public. Le bail est à durée illimitée, il n’existe pas de possibilités de donner congé pour vendre le logement, il y a peu de congés pour reprise personnelle et les nouvelles mises en locations sont encadrées par les « miroirs de loyers ». De la même façon, tous les loyers doivent obéir aux mêmes règles et aux mêmes limitations quelle que soit la nature du bailleur. Dans le parc de la société communale, la ville dispose de droits d’attributions sur une partie des logements.

La Ville conclut également avec les bailleurs privés des conventions temporaires emportant droits exclusifs d’attribution. 9 000 logements privés sont ainsi réservés au profit de personnes âgées, de malades, de personnes à faibles revenus ou surendettées. En contrepartie de ces droits de réservation, la ville garantit directement le loyer et les frais de remise en état.

Sur l’ensemble de la Ville de Cologne, 50 000 logements sont ainsi conventionnés sur un parc total de 530 000 logements.

Mais au-delà de ces droits de réservation, la ville a jugé bon de se doter d’un outil spécifique, que ses responsables comparent à un petit OPAC. Rattaché au service social de la commune, cet organisme est spécialement dédié au logement des personnes en grande difficulté sociale. Il possède 4 500 logements regroupés dans de petits immeubles répartis sur l’ensemble du territoire, de façon à éviter l’apparition de phénomène de ségrégation géographique et de quartiers stigmatisés. 5 700 personnes sont logées par cet organisme et bénéficient de l’accompagnement social de 22 travailleurs sociaux. Le coût de revient mensuel estimé de ces logements est estimé à 11 € du m² mensuel (3) (amortissements des coûts de construction, coûts de gestion et du travail social et charges). Ce nouvel organisme créé en 2001, permet à la commune de choisir des logements adaptés aux contraintes propres des personnes qu’il s’agit d’héberger. Ainsi la ville a-t-elle spécialisé un petit nombre de logements, moins de 10, aux punks qui au cours de leurs pérégrinations, séjournent à Cologne et sont accompagnés de chiens. Cette décision un peu emblématique semble avoir heurté une partie du conseil municipal, mais elle illustre le souci de mettre en place des réponses adaptées au type de public qui pose problème.

La prévention des expulsions

Comme en France, les pouvoirs publics s’efforcent d’intervenir pour prévenir les expulsions, mais lorsque la procédure juridique est engagée, le juge doit constater la déchéance du bail, ce qui ouvre droit à l’expulsion. Néanmoins, le juge doit informer la Ville qu’une procédure d’expulsion est en cours. La collectivité locale dispose, alors, de la possibilité de s’opposer à l’expulsion pendant un délai déterminé, délai qui varie selon les communes. A Bielefeld, ce délai  est de deux fois six mois, à Cologne de deux fois treize semaines. Dans ce cas, la commune se substitue au locataire pour le paiement de la dette de loyer et garantit le paiement des loyers en cours. L’intervention de la commune est assortie d’un accompagnement social des personnes afin qu’elles reprennent leurs paiements ou qu’elles déménagent vers un autre logement. De la sorte, ce n’est pas le bailleur qui supporte les conséquences de la solidarité. Au demeurant, il faut noter que celui-ci n’a pas de raison particulière de souhaiter récupérer son logement, car il ne pourrait pas fixer un montant de loyer plus élevé pour le nouveau locataire.

1 642 ménages ont été aidés de cette manière en 2006 à Bielefeld pour un coût de 550 000 € et un coût de gestion administrative équivalent à 7 emplois à temps plein.

A Cologne, ces différentes politiques ont permis de traiter la situation de 11 632 ménages en 2006 en situation de relogement d’urgence. Près de 7 000 personnes ont bénéficié de conseils et de la garantie des impayés de loyer mise en place par la ville, 1 479 ménages ont été relogés ou maintenus dans les lieux dans l’attente de leur relogement.

Dans ce cas, comme dans celui du recours à des logements privés pour héberger des sans-abri, les procédures allemandes se caractérisent par leur caractère direct et par une claire répartition des objectifs et des responsabilités. Pas de liste de personnes à loger transmise au bailleur, mais l’attribution d’un logement à une personne déterminée, pas d’aide conditionnée par une contrepartie sociale, mais une prise en charge directe du loyer, pas de procédure concertée de prévention des expulsions, mais une substitution de la collectivité à l’occupant dans l’exercice de ses obligations. Ainsi la question du logement des sans-abri ou des personnes mal logées, comme celle de l’insalubrité ne font-elles pas l’objet d’une législation nationale, mais de réponses locales au cas par cas.

Un système rendu viable par l’absence de tension du marché

Aux dires de nos interlocuteurs, les grands objectifs de cette politique seraient assez consensuels. Il n’existe pas d’association activiste fondée autour de la question des sans-abri. Une institution qui gère des institutions caritatives, la BAG, sorte de lobby en faveur du logement des personnes défavorisées dont le rôle se situe entre celui de la Croix Rouge et celui du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, se donne également pour objectif de défendre auprès des pouvoirs publics la cause des mal logés. A notre surprise, elle regrette l’absence d’une loi du type « Droit au logement opposable » ; elle attendrait d’une telle loi un alignement des pratiques de l’ensemble des collectivités locales sur celles des villes jugées les plus généreuses comme le sont Cologne ou Bielefeld.

Il n’en demeure pas moins que tous ces dispositifs ne fonctionnent que parce que les autorités locales ont une compétence sur un territoire qui correspond à l’ensemble de l’aire urbaine et que la tentation n’existe pas, ou peu, de renvoyer les sans-abri dans la commune voisine. Cette pratique vaut cependant pour certains immigrants venus des pays de l’est de l’Europe et qui sont sans travail : ils se voient offrir des billets de retour pour leur pays d’origine. Mais surtout, et c’est probablement là que la pratique est la moins transposable, la collectivité peut s’appuyer sur un parc de logements détendu et sur des places d’hébergement en nombre suffisant. Cette observation vaut pour l’ensemble de l’Allemagne, car Cologne compte parmi les villes où la tension sur le marché du logement est plutôt plus forte que la moyenne nationale.


Notes

1. 1 300 personnes seraient logées dans des conditions incertaines au point de devoir trouver chaque soir un nouvel abri (habitat de fortune, hébergement par des tiers).

2. GAG Immobilien AG

3. Ce montant est à comparer à celui du prix moyen au m² mensuel dans le parc privé estimé à 9 € sans les charges et à celui de 5,10 € de plafonds de loyers au m² pour un logement social.

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